FRANÇOIS AUVITY, UN TRAÎTRE IMPUNI
Emmanuel Legeard, docteur ès Lettres (Paris IV)
[Mise à jour du 15/12/2023 : on se reportera, après les notes, aux commentaires très riches de Mme Annie
Lacroix-Riz, qu’elle a eu l’immense obligeance de me faire parvenir, et que je reproduis en la remerciant. Je
recommande par ailleurs ses excellents ouvrages sur le sujet, et j’en profite pour rappeler une chose que j’ai
souvent dite : sans les informations qu’elle m’a procurées il y a six ans, et qui ont amorcé mes recherches sur le
sujet, jamais je n’aurais découvert la face soigneusement dissimulée d’Auvity ni ses agissements sous
l’Occupation.]
Appliquons-nous à examiner dans le détail, preuves à l’appui, quelle fut l’attitude d’Auvity sous l’Occupation. Le
16 janvier 1942, puis le 4 décembre, Auvity publie dans la Semaine catholique de Mende deux adresses aux fidèles
de son diocèse. L’une est intitulée « Nos devoirs vis-à-vis du pouvoir civil », l’autre « Le devoir des catholiques ».
Les deux textes martèlent qu’un bon catholique doit montrer une « fidélité loyale et dévouée au chef de l'État » :
« les sujets ont le devoir de se soumettre à toute autorité légitime, puisque l'autorité légitime vient de Dieu... Les
Français ont le devoir strict de lui (Pétain) obéir et de lui marquer fidélité »[1] Seulement voilà, entre ces deux
dates du 16 janvier 1942 et du 4 décembre 1942, un événement capital s’est produit qui a bouleversé la situation.
Le 11 novembre 1942, les Allemands ont envahi la zone libre. Le 27 novembre 1942, la flotte française s’est
sabordée à Toulon. L'armée de Vichy été dissoute sur l’ordre de Hitler. L’École des cadres d'Uriage est supprimée.
La situation est telle qu’il est désormais interdit de se payer d’illusions quant au « Maréchal, bouclier de la
France » : Pétain n’est plus, de fait, qu’un fantoche, une « marionnette des nazis » (Jocelyn Bézecourt), à tout le
moins leur otage. C’est le IIIe Reich qui commande, et Pétain le reconnaît lui-même : il n’a plus son mot à dire.
Quand donc Auvity, dans ces circonstances dramatiques, enjoint aux fidèles de faire preuve d’une
loyauté sans faille à l’égard du gouvernement, tout bas de plafond qu’il puisse être, il ne l’est tout
de même pas assez pour ignorer qu’il ordonne en fait de se mettre directement au service de la
Gestapo.
Mais nous savons qu’Auvity est depuis longtemps un adversaire déclaré de la résistance au nazisme et un
antisémite convaincu, ce qui fait de lui un allié objectif du IIIe Reich depuis les premières heures de l’Occupation.
Et il agit dans ce sens spontanément, par initiative personnelle, non à regret pour satisfaire le désir de la
hiérarchie pontificale ou par obligation pour se conformer à la politique publique du soi-disant chef de l’État
français. Ainsi, dans une lettre interceptée en janvier 1942 et conservée aux Archives départementales de la
Lozère (cote 2 W 3177), Auvity revendique crânement : « Dans mon diocèse, certains éléments étrangers font une
campagne gaulliste, dans les diocèses voisins également (…) : j'ai été à ce sujet obligé de préciser le devoir de
chacun, d'une façon très nette. » Traduisons: Auvity a sévèrement interdit toute interaction avec la
Résistance et encouragé les signalements.
Le 23 août 1942, Jules Saliège, l’archevêque de Toulouse, effrayé par la brutalité criminelle avec laquelle on
malmène des familles juives, ordonne la lecture dans toutes les paroisses de son diocèse d'une lettre pastorale
intitulée Et clamor Jerusalem ascendit sur le devoir d’humanité envers les Juifs. Cette lettre circule librement sur
une grande partie du territoire malgré l’interdiction de Laval que les évêques, dans leur majorité, se contentent de
traiter par le mépris. Elle est même aussitôt diffusée non seulement sur les ondes de la B.B.C. à Londres, mais
par Radio Vatican [2] qui émet dans toute l’Europe depuis le 12 février 1931 et se définit comme
« la voix de Sa Sainteté Pie XII » ! Auvity n’en tient aucun compte. Il prend prétexte de son devoir de
collaborer avec Roger Dutruch, préfet complètement nazifié, pour ignorer la position du pape en personne, et fait
interdire dans tout le diocèse la lecture de la lettre [3]. Son comportement est d’autant plus criminel qu’Auvity
n’ignore rien du sort réservé aux femmes et aux enfants : il lui est parfaitement connu par le camp de
concentration de Rieucros. Le zèle d’Auvity est admirable, les nazis sont ravis. Les fonctionnaires de Vichy,
et tout particulièrement les policiers de Darquier de Pellepoix préposés aux « questions juives »
ne manquent pas de souligner la « bonne volonté » de l’évêque de Mende qui contraste fortement
avec la mauvaise grâce des autres dans la répression « des antinazis, des juifs, et des réfractaires
au S.T.O. »[4]
Pourtant il n’y a pas que Saliège, soutenu par Pie XII, qui donne l’exemple. On ne compte pas moins que le
cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon et primat des Gaules, et Jean-Joseph Moussaron, l'archevêque d'Albi,
et Edmond Vansteenberghe, l’évêque de Bayonne, et Pierre-Marie Théas, l’évêque de Montauban, et Paul
Rémond, l’évêque de Nice. C’est donc bien la responsabilité personnelle d’Auvity qui est
volontairement engagée, en pleine conscience, dans l’encouragement donné à la chasse aux
maquisards, à l’action de la Milice, aux rafles et aux déportations des Juifs. En 1943, il y a longtemps
que les jeux sont faits. Comme le rappelle Annie Lacroix-Riz dans ses travaux [5], François Auvity est largement
détesté dans le diocèse de Mende pour avoir « fait pression sur ses séminaristes » en faveur du S.T.O.,
interdit à ses prêtres d'accorder « les secours de la religion aux réfractaires », refusé « de donner
un aumônier au maquis de la Haute-Lozère », et même interdit de protester contre les atrocités
allemandes de juin 1943 où une vingtaine de jeunes réfractaires sont descendus par la
Wehrmacht, tandis que les autres sont déportés. Or ces « incidents sanglants » avaient « suscité une très
vive émotion dans la population rurale de la Lozère ».
Mais c’est avec sa lettre du 2 juillet 1943 publiée dans la Quinzaine catholique du Gévaudan qu’Auvity s’aliène
définitivement les fidèles du diocèse. La Lettre, intitulée « À un groupe de Lozériens relativement à la réquisition
de la main-d'œuvre pour l'Allemagne », vient délibérément épauler la propagande de réquisition pour le S.T.O. à
quelques jours des visites médicales concernant 300 appelés. Auvity donne une directive qu’une fois de plus on ne
lui demande pas, et qui se conclut par : « votre intérêt et la sagesse demandent que vous partiez. » Le
chantage à la « charité chrétienne » exercé dans la lettre par l’évêque de Mende achève d’écœurer
ses derniers soutiens. La condamnation sans appel des réfractaires au S.T.O. et l’ordre d’accepter les travaux
forcés au service des nazis témoignent de l’étroite collaboration qui existe entre Auvity et le préfet Dutruch,
dont l’antisémitisme virulent est connu depuis 1935, et qui donnera le maquis Bir-Hakeim à la Gestapo. Pour plus
de sûreté, l’évêque de Mende emprunte les termes d’Achille Liénart, l’archevêque de Lille décoré par Pétain qui,
s'adressant à un auditoire de plusieurs milliers de jeunes gens, prêchait en faveur du S.T.O. : « Est-ce vraiment le
moment de considérer chacun son intérêt personnel ? Faut-il sous un beau prétexte de patriotisme qui cacherait
mal des égoïsmes, que les plus malins se dérobent et laissent retomber le poids de la charge ingrate sur les petits
et sur les faibles ? [...] Ne voyez-vous pas que si quelque chose est capable de préserver la France du bolchevisme,
c'est précisément cette union de tous les Français dans la souffrance de leur patrie ? » C’est Liénart toujours qui,
en janvier 1944, condamnant la France Libre, mettra ses diocésains en garde contre les « propagandes abusives
qui poussent le pays à la guerre civile » et contre les « bandits de profession [qui] ne se gênent pas pour exercer
sur les particuliers leurs rapines et leurs vengeances. »[6]
Sur la question du S.T.O. comme sur le reste, Auvity se range avec les pires, et il est repris par eux. Charles
Challiol, évêque de Rodez, qui a gardé un silence coupable après les lois antijuives de 1940 et qui entretient des
relations plus que cordiales avec les responsables de la Milice et de la LVF, s’empresse de citer son confrère de
Mende dans une lettre publique où les arguments d’Auvity sont qualifiés de « lumineux », empreints d'une
« sagesse des plus clairvoyantes ». Et Challiol de demander à ses curés de mépriser « ces prétendus théologiens
ou ces juristes anonymes qui osent donner des consultations circulantes allant à l'encontre des directives de
l'épiscopat. » Dans le Bulletin de Saint-Côme, en septembre 1943, on peut lire que Challiol, « le chef vénéré de
notre diocèse (!) a fait sienne la lettre de Mgr Auvity [...] donnant les mêmes consignes au sujet du départ en
Allemagne. »[7] Ces déclarations définissent la dernière ligne de partage, parmi les prélats de l’Église de France,
entre les jusquauboutistes de la collaboration et les résistants.[8]
On notera en passant un fait qui n’est peut-être pas si anecdotique que cela : tous les évêques résistants, qui
s’opposent ouvertement aux diktats des nazis, sont des héros de la Grande Guerre. Pierre-Marie Théas, incorporé
en décembre 1914, est démobilisé en 1919 avec la Croix de guerre deux citations. Paul Rémond est démobilisé en
1919 avec le grade de capitaine. Il reçoit la Légion d'honneur, la croix de guerre avec palme, deux étoiles d'argent
et deux étoiles d'or, ainsi que la croix d'officier de l'ordre de Léopold en 1922. A la déclaration de guerre, Jules
Saliège quitte ses fonctions de supérieur du grand séminaire de Saint-Flour pour se porter volontaire comme
aumônier sur la ligne de front. Il est très gravement gazé en 1917, ce qui entraînera une paralysie partielle
surmontée avec courage toute sa vie. Trois Justes parmi les nations. Comparons maintenant avec le lamentable
Auvity. D’abord il est déclaré « bon pour le service », sa santé étant excellente, comme on pourra le constater par
la suite puisque Auvity ne sera jamais malade et mourra à 90 ans passés alors que l’espérance de vie moyenne
des Français est de 67 ans dans les années 1960. Auvity se fait dispenser par le conseil de réforme au motif qu’il
est « élève ecclésiastique ». Passons. Mais ensuite, il va exploiter une connivence pour simuler une incapacité. Le
levier tiré doit être puissant, car Auvity est effectivement réformé. Mais le médecin militaire, qui n’apprécie pas
les procédés du conscrit, ne va pas le rater. Motif : « éventration non pathologique » ! Les éventrations sont des
relâchements de la paroi abdominale qu’on recense essentiellement chez les femmes qui ont eu beaucoup
d'enfants ou, accidentellement, après une opération chirurgicale ratée. Donc le motif est parfaitement injurieux et
le médecin militaire, abrité derrière son jargon, s’en est donné à cœur joie : il a réformé un « tireau-cul » pour cause de relâchement des tripes! Ses confrères apprécieront.
Retour en 1943. Joachim von Ribbentrop est ministre des Affaires étrangères du Troisième Reich et Ernst
Kaltenbrunner, directeur du Sicherheitsdienst, le service de renseignement de la SS spécialement versé dans les
opérations secrètes comme les opérations sous faux drapeau. Le ministre allemand et le haut fonctionnaire de la
SS cherchent à contrer les tentatives entreprises par les Américains pour amener l’Argentine à renverser ses
alliances et à rejoindre les Alliés. Pour les Allemands, le pays sud-américain menace de basculer dans le camp
ennemi. Ils conviennent alors d’une opération visant à indigner l’opinion publique argentine, massivement
catholique, pour la ramener à de meilleurs sentiments. Le SD commandite au leader fasciste Roberto Farinacci,
qui a conservé de son engagement maçonnique une haine anticléricale féroce, un bombardement anonyme du
Vatican. Les services de la propagande hitlérienne se chargent ensuite de faire passer ce bombardement pour une
agression alliée en rupture de tous les traités. Farinacci s’exécute. Le 5 novembre 1943, à 20h10, un bombardier
de la République sociale italienne largue cinq bombes, dont quatre explosent sur la basilique Saint-Pierre de
Rome. Pie XII, rapidement informé qu’il s’agit d’une opération sous faux drapeau commanditée par l’Allemagne
ne s’exprime pas publiquement sur l’événement.[9] Qu'à cela ne tienne! Auvity, comme à son habitude, ne
peut s’empêcher de faire du zèle en faisant distribuer aux curés de son diocèse un communiqué à
lire en chaire le dimanche suivant pour « réprouver le bombardement de Rome par l'aviation
alliée »! Mais le clergé lozérien, qui avait basculé dans la critique plus ou moins acerbe de l’évêque de Mende,
refusa de lire le communiqué. Certains, comme le curé de Pierrefiche, paroisse de l’arrondissement
de Mende, pensant que le bombardement était effectivement l’œuvre d’un avion allié, poussa
même l’audace jusqu’à commenter publiquement que les bombes n’étaient pas toujours
imméritées. Il visait Auvity.
La Croix de la Lozère, février 1943
Enfin, il y a le cas de la Croix de la Lozère, l’hebdomadaire clérical de Mende. Il faut bien comprendre que les
« liens (coupables d’Auvity) avec la Croix de la Lozère »[10] pèsent particulièrement lourd dans le cas du prélat
collaborationniste parce que la Croix de la Lozère, ce n'est pas n'importe quel journal. C’est « la voix militante
de l’évêché »[11], « le journal de l’évêché et du parti catholique »[12] . Et il y a une excellente
raison pour cela : la Croix de la Lozère, en effet, est « sous la direction d’un prêtre mandaté par
l'évêché »[13], en l’occurrence le chanoine Félix Remize jusqu’en 1941, puis son successeur l’abbé Grégoire
jusqu’au 13 août 1944. Or la Croix s’est tellement compromise dans la collaboration active avec les nazis dont elle
fait la réclame chaque semaine qu’il lui faudra changer de nom – et de directeur – en catastrophe à la Libération
pour pouvoir continuer à paraître. On publie des articles antisémites, des articles fustigeant les
« gaullistes », des articles pro-Allemands, de la publicité gratuite pour Déat et Doriot qui se bat
sous l’uniforme allemand depuis 1941, et la célébration outrancière de la création de la Milice de
Darnand. Ce dernier point mérite d’être éclairci, car il n’est pas assuré qu’on comprenne encore ce qu’était la
Milice. Comme l’écrit Jean Defrasne dans son Histoire de la collaboration : « Ce sera cette police supplétive que
le Führer a demandé (à Laval) de créer lors de l'entrevue du 19 décembre. (...) Darnand parle clair : « Notre
volonté est de voir s'instaurer en France un régime autoritaire, national et socialiste, permettant à la France de
s'intégrer dans l'Europe de demain. » Les tâches sont celles des SS en Allemagne. »[14] En d’autres termes : la
Milice est une police de supplétifs auxiliaire de la Gestapo.
A la Libération, la population de Mende est tellement remontée contre Auvity que Henri Cordesse, le nouveau
préfet, décide dans un premier temps de le mettre à l’abri au QG F.F.I. et de le faire garder – comme l’explique
l’article de Medium – par des Arméniens enrôlés dans la Wehrmacht et retournés par les FTP-MOI. L’avantage
est qu’en leur qualité d’étrangers ils sont inaccessibles aux réclamations de la foule qui veut lyncher Auvity.
Finalement, l’évêque de Mende est exfiltré par mesure de prudence et se réfugie à la Trappe de Bonnecombe, en
attendant que les choses se tassent pour pouvoir rentrer discrètement à Germigny-l’Exempt. Henri Cordesse
rappelle que « l'épuration de l’épiscopat français, qui devait à l'origine porter sur de nombreux cas, est
rapidement limitée aux dossiers de Saint-Brieuc, Arras et Mende ».[15] On ne pouvait pas faire moins. Mais la
tactique adoptée par l’Église est intéressante. C’est celle de l’étouffement jusqu’à l’oubli. Cordesse la décrit très
bien :
« Les milieux catholiques restent dans l'attente d'une solution officielle du cas d’Auvity. Le
dossier gêne tout le monde, aussi bien la nonciature que le gouvernement. Après enquêtes officielles par le
Ministre de l'Information, échanges au plus haut niveau, rapports demandés périodiquement par le Ministre de
l'Intérieur au Préfet, il semble que tout soit fait pour laisser le temps faire son œuvre (c’est-à-dire
que les agissements d’Auvity tombent dans l’oubli). Ce dossier non refermé, pour aussi particulier qu'il
soit, est lié à l'image de marque de la Résistance en général, et par conséquent à tout ce qui, des C.L.L. ou
C.D.L., émane d'elle. Pour le prêtre, le notable local, souvent réunis par le souvenir des mêmes
comportements à l'égard de Vichy et de l'évêché, il y a là un point d'interrogation gênant.
Pourquoi n'a-t-on pas réglé ce douloureux problème avant d'appeler les catholiques aux
urnes ? »[16]
Auvity ne retournera jamais à Mende. La justification invoquée pour l'éloigner définitivement de la Lozère, c'est
qu'il est haï dans tout le diocèse et qu'une partie de la population semble résolue à lui mettre, comme à Roger
Dutruch le 28 septembre 1944, les douze balles dans la peau qu'il mérite au même titre que le préfet collabo, et
pour la même raison : haute trahison. François de Menthon, fervent catholique et ministre de la Justice dans le
Gouvernement provisoire de la République française, diligente une enquête et conclut textuellement : « Beaucoup
de catholiques pensent que Mgr Auvity a perdu toute autorité, et considèrent que son retour ne serait pas
sans risque pour sa personne, pour la paix publique et la paix de l’Église. » [10]
De manière intéressante, c’est le discours en faveur du S.T.O. qui, comme nous l’avons déjà dit, a été la goutte
d’eau – parce que le vase était déjà plein, depuis longtemps. Les Lozériens étaient à bout de patience. Encore une
fois, laissons la parole à Cordesse puisqu’il fut le témoin direct et privilégié de cette affaire :
« Les conséquences de l’Acte contre la Résistance dicté par Auvity sont évidemment très lourdes non sur le
nombre des réfractaires, mais sur l'équilibre moral de nombreux résistants catholiques. Ceux-ci en effet, loin
d'éprouver un sentiment de culpabilité, jugent comme une erreur et une faute la déclaration de leur évêque.
D'ailleurs, les résistants – et les Lozériens dans leur ensemble – ne peuvent considérer le contenu
de cette lettre pastorale autrement que comme l'expression de l'opposition de l'Église à la
Résistance. »[17]
Le constat de Raphaël Spina, historien du S.T.O., va dans le même sens et rapporte de façon intéressante que
« les trois seuls évêques déposés ont tous instamment approuvé le S.T.O. et condamné la Résistance : Mgr Auvity
à Mende, Mgr Dutoit à Arras et Mgr Serrand à Saint-Brieuc, dont le diocèse n'en fut pas moins l'un des plus
réfractaires. » [18]
Même P. Pierrard est obligé d’admettre la culpabilité « bien gênante » d’Auvity, c’est tout dire. Ainsi, malgré toute
sa mauvaise foi, dans un passage destiné à laver plus blanc que blanc, où le chroniqueur régulier du journal La
Croix et professeur à l'Institut catholique de Paris n’hésite pas à minimiser, relativiser, atomiser la collaboration
des évêques de France qui avec lui deviennent à peu près tous d'aimables résistants, Pierrard ne parvient pas à
exonérer Auvity du poids de sa collaboration avec les nazis. Même s’il prend bien soin d’étouffer habilement au
passage l’antisémitisme de l’évêque de Mende, l’« historien catholique » est bien forcé de reconnaître – et
pourtant son audace est immense – que si « à la lumière des études qui ont été faites (!), on peut affirmer que
l'Église officielle compta très peu de collaborateurs (!) à part le cas quasi folklorique (!) du prélat Mayol de Luppé
(sic), aumônier de la Légion française contre le bolchevisme (et de la Waffen SS), et celui du cardinal Alfred
Baudrillart, obsédé par le péril communiste », on rencontre tout de même « quelques évêques – Florent
du Bois de La Villerabel, à Aix-en-Provence, Dutoit à Arras, Auvity à Mende – que leur culte du
Maréchal ou un anti-gaullisme viscéral a conduits à la collaboration avec les nazis. »[19] La messe
est dite.
Conclusion
Auvity doit à sa façon de signer quelquefois, par coquetterie, Mgr Auvity-Lardy, le surnom dont le Maquis de
Haute Lozère l’avait affublé : «Gros Lardy». C’est suffisamment expressif, non seulement au point de vue
physique, mais moral. J’ai beaucoup de mal à accepter l’affirmation qu’Auvity était un nazi. Qu’il ait agi très
ouvertement dans le sens des intérêts de l’Occupant nazi, c’est un fait qui ne souffre aucune discussion. En
revanche, qu’il ait été nazi lui-même, non. Le national-socialisme, en effet, est une doctrine dure qui exige une
adhésion, un engagement, des risques. Or Auvity n’était, positivement, rien. Juste un salaud ordinaire. Relire
Sartre. Si l’on devait donner une figure au concept du « salaud », c’est-à-dire au bourgeois cultivant sa mauvaise
foi, prétexte à toutes les inhumanités, avec une autosatisfaction sans limite, on pourrait choisir Auvity sans peine.
La magnifique définition de Pierre Henri Simon vient confirmer ce sentiment: « La mauvaise foi [du salaud],
c'est la fausse bonne conscience, l'autosatisfaction dans l'honorabilité, dans la morale ou la religion, tendues
comme des fictions protectrices devant le vide de l'être et la comédie hypocrite d'un ordre de bagne ou de
prison. »[20] On pourrait aussi dire, en d’autres termes, qu’Auvity, c’est la « banalité du mal ». Seulement,
comme Hannah Arendt l’expliquait très bien, la banalisation du mal est un moment nécessaire de la dialectique
du mal qui aboutit au mal absolu. Donc il est bon, même à titre posthume, de faire le procès d’Auvity qui participa
volontairement à cette dialectique broyeuse de vies humaines.
NOTES
[1] Semaine catholique de Mende, 16 janvier et 4 décembre 1942. La première lettre est reprise dans la Croix de
Paris (4 février) et la France catholique (26 février).
[2] Fernando Bea, Alessandro De Caroli, Ottant'anni della Radio del Papa (1931-2011), Libreria editrice vaticana,
2011.
[3] Comité français pour Yad Vashem, site de l’AJPN (Anonymes, Justes et Persécutés durant la période Nazie
dans les communes de France), lien: https://web.archive.org/web/20220901215600/http://www.ajpn.org/justeJules-Saliege-2513.html
[4] Patrick Cabanel, Vocations et migrations religieuses en Gévaudan, XVIIIe-XXe siècle, CNRS éditions, Paris,
1997, p.83.
[5] Annie Lacroix-Riz, Les Élites françaises entre 1940 et 1944. De la collaboration avec l'Allemagne à l'alliance
américaine, Armand Colin, 2016.
[6] Xavier de Montclos (dir.), Églises et chrétiens dans la IIe Guerre mondiale: La France; actes du colloque
national tenu à Lyon du 27 au 30 janvier 1978, Centre régional interuniversitaire d'histoire religieuse, 1978.
[7] Henri Fabre et Henri Caillavet, L’Église catholique face au fascisme et au nazisme: les outrages à la vérité,
Éditions du Centre d'Action laïque, 1994.
[8] Markus Eikel, Französische Katholiken im Dritten Reich. Die religiöse Betreuung der französischen
Kriegsgefangenen und Zwangsarbeiter 1940-1945, Rombach, 1999 : « In den Erklärungen zum S.T.O. hatten
sich die Bischöfe Frankreichs erneut alles andere als einig gezeigt : Deutlichen Protest erhoben Théas, Rémond,
Vansteenberghe (Bayonne) und Saliège, die in ihren Erklärungen von » Deportationen, « Verbrechen » und «
Zwangsarbeit » sprachen. Andererseits rieten Martin (Puy), Dutoit (Arras), Auvity (Mende) und Challiol (Rodez)
in ihren Hirtenbriefen eindeutig dazu, den S.T.O. zu befolgen und dem Vichy-Regime Gehorsam zu leisten.»
[9] Patricia M. McGoldrick, "Who Bombed the Vatican? The Argentinean Connection.", The Catholic Historical
Review, octobre 2016, pp. 771-798.
[10] Laurent Ducerf, François de Menthon, Éditions du Cerf, 2006, p. 303.
[11] Annales du Midi, 1988, volume 100, page 321.
[12] Le Monde alpin et rhodanien, Centre alpin et rhodanien d'ethnologie, 1988, p.192.
[13] Patrick Cabanel, Itinéraires protestants en Languedoc du XVIe au XXe siècle: Les Cévennes, Presses du
Languedoc, 1998.
[14] Jean Defrasne, Histoire de la collaboration, Presses Universitaires de France, 1988.
[15] Henri Cordesse, La Libération en Lozère: 1944-1945, Reschly, 1977, p.114.
[16] Henri Cordesse, ibidem, p. 160.
[17] Henri Cordesse, Histoire de la Résistance en Lozère: 1940-1944, Les Presses du Languedoc, p. 87.
[18] Raphaël Spina, Histoire du S.T.O., Synthèses Historiques, Perrin, 2017.
[19] Pierre Pierrard, Un siècle de l'Eglise de France 1900-2000, Desclée de Brouwer, 2000, p.128.
[20] Pierre Henri Simon, La France a la fièvre, Le Seuil, 1958, p.39.
LES COMMENTAIRES DE MME ANNIE LACROIX-RIZ
- A propos de Pie XII :
« Je vous renvoie à ce sujet à l’ouvrage Le Vatican, l’Europe et le Reich, tout juste réimprimé, qui analyse la
duplicité du champion infatigable du Reich Pacelli : apparent ralliement à la Pax Americana et à des conditions
américaines à forte portée financière, soutien du Reich jusqu’au bout, avec notamment la protestation publique
contre les bombardements anglo-américains qui n’a jamais cessé depuis 1942. Duplicité parfaitement connue et
agréée par Washington dont la politique antisoviétique fut constante et l’opposition présumée à « l’ennemi »
allemand fort nuancée. » [C’est évidemment tout à fait exact, et je ne songerais pas à prétendre le contraire]
- A propos des relations entre Saliège et Pie XII :
« Saliège n’a jamais été soutenu par Pie XII qui le haïssait et l’a poursuivi de sa haine après la guerre. »
- A propos de l’épuration du clergé :
« Rome a mené contre toute épuration du clergé un combat féroce, très vite soutenu de fait par le très droitier de
Gaulle, pour des raisons intérieures : l’Église romaine assure l’assise de la droite en France, qui constitue aussi, à
l’intérieur, celle de de Gaulle. Voir, outre, Le Vatican, l’Europe et le Reich, ma communication « L’Église de
France et la reconstitution de la droite après la Libération, 1944-1946 », colloque sur « la reconstitution de la
droite de 1944 à 1948 », Rennes, 22-24 mai 2003, Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier, dir., La recomposition
des droites en France à la Libération 1944-1948, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 111-124. »
[C’est évidemment la plus exacte vérité et le cas de François Auvity est particulièrement exemplaire à ce sujet !]
- A propos du bombardement de Rome :
Mme Annie Lacroix-Riz m’adresse un commentaire très long, et très intéressant concernant Patricia M.
McGoldrick, « Who Bombed the Vatican? The Argentinean Connection », The Catholic Historical Review,
octobre 2016, pp. 771-79. Elle rappelle, à juste titre, ce fait que je n’ignore évidemment pas : que Patricia
McGoldick « est une historienne cléricale, publiquement bénie par L’Osservatore Romano ». Mais il semble aussi
que Patricia McGoldrick n’ait pas été très objective dans « sa consultation et [son] appréciation très sélectives des
archives, notamment les ADSS, fort sélectives elles-mêmes, et sur de la seconde main, également cléricale (sur
Harold Tittman, cf. index Le Vatican, l’Europe et le Reich, quant aux mémoires des diplomates nazis, von
Weizsäcker et Rahn). » Elle « pense même que Patricia McGoldrick n’a écrit que les deux articles de commande
mentionnés au service de l’Église romaine : sur Internet ne figurent pas d’autres travaux. [Patricia M.
McGoldrick] se confond peut-être avec cette religieuse à statut « laïque », titulaire d’une médaille papale
(Benemerenti) : https://www.dunkelddiocese.co.uk/benemerenti-for-pat-mcgoldrick/. » Il y a donc là,
effectivement, un sérieux problème soulevé par Mme Lacroix-Riz. Concernant le bombardement de Rome, Mme
Lacroix-Riz propose une lecture alternative que je recommande évidemment : Le Vatican, l’Europe et le Reich, p.
552-554. Elle rappelle aussi l’indignation très sélective du Saint-Siège relativement aux bombardements, selon
qu’ils étaient alliés ou allemands, « sur le modèle établi par [le] prédécesseur [de Pie XII] Benoît XV pendant la
Première Guerre mondiale. »
- A propos de l’Argentine :
Mme Lacroix-Riz indique une référence à consulter: « La véritable position de l’Argentine et la filière vaticane de
sauvetage-recyclage des criminels de guerre mise en train depuis 1942 par Pie XII en personne sont éclairés par
l’indispensable ouvrage d’Uki Goñi, The real Odessa: how Perón brought the Nazi war criminals to Argentina,
London, Granta, 2003, enfin traduit, par Delga (https://editionsdelga.fr/produit/la-veritable-operation-odessa/)
maintes fois cité dans Le Vatican, l’Europe et le Reich). »
- A propos du double jeu du Vatican et de la thèse d’un Pie XII « antinazi »
Mme Lacroix-Riz rappelle que les historiens cléricaux s’emploient depuis quatre-vingts ans à faire passer pour de
l’antinazisme et du « dévouement aux catholiques du monde » « la méfiance du Vatican, bien compréhensible,
envers le Reichsmark, et son vieil amour pour le dollar. […] La Curie, Pacelli inclus, émargeait à la cassette
américaine depuis l’immédiat après-Première Guerre mondiale, et ça n’a jamais cessé depuis Benoît XV, voir Le
Vatican, l’Europe et le Reich, chapitres 2 sq. » Je pense depuis longtemps qu’elle a parfaitement raison, et qu’il
s’agit là d’un des mobiles les plus évidents de Vatican II et de son aggiornamento. Ainsi s’explique ce paradoxe –
en apparence seulement – que ce sont précisément les prélats les plus pétainistes, donc que le public dans son
simplisme pensait les plus « conservateurs », qui ont été les zélateurs les plus ardents du Concile de Vatican II (à
commencer par le super-pétainiste Achille Liénart, le super-pétainiste Louis-Joseph Lebret, etc.) On remarquera
que les attitudes devenant caricaturales avec l’effondrement institutionnel, Bergoglio ne se cache même plus de
démarcher pour les intérêts des multinationales U.S. Vatican II aura été le « Mai 68 » de l’Église et servi à la
même chose exactement : maintenir dans sa position de pouvoir la même classe dominante à travers une
mutation du capitalisme financier à l’échelle mondiale orchestrée par l’empire américain (c’est moi qui dis cela, et
non Mme Lacroix-Riz dont je ne connais pas l’opinion sur ce sujet précis).
- A propos de François de Menthon et d’Auvity
Mme Lacroix-Riz nuance utilement mes propos sur « l’engagement de la responsabilité d’Auvity » en séparant la
responsabilité morale de la responsabilité contractuelle. Si l’on s’en tient au quitus du Vatican qui a été donné à
Auvity, délégué du pouvoir pontifical, comme elle l’explique, Auvity n’a jamais engagé sa responsabilité. Je
reproduis ici intégralement son texte dont la teneur est très importante :
« Le pape ne cessa de stimuler l’épiscopat français (comme les autres) au soutien du STO, à à la critique explicite
de la Résistance et de ses « terroristes », des « bombardements alliés », de toute paix punitive contre le Reich (la
proclamation officielle de la capitulation sans conditions (fit l’objet de lamentations quotidiennes depuis 1943).
Et ce, alors même que la grande politique exigeait l’adaptation à la Pax Americana (tous aspects, je le répète,
traités dans Le Vatican, l’Europe et le Reich). Dans des proportions soigneusement calculées,
Washington adorant le tapage antisoviétique et anticommuniste de la Curie, et ayant donné son plein accord à la
campagne de sauvetage-recyclage des criminels de guerre mise en œuvre dès 1942 (campagne sur laquelle
on sait depuis 35 ans, grâce à Christopher Simpson énormément de choses, complétées ensuite : voir
l’ouvrage de Christopher Simpson, enfin traduit (https://editionsdelga.fr/produit/le-boomerang-americain/),
avec mise au point bibliographique dans ma préface (notamment Breitman et al., US intelligence and the
nazis, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press, 2005 ; Breitman et Goda, Hitler’s Shadow : Nazi War
Criminals,
US
Intelligence
and
the
Cold
War,
National
Archives,
2010,
http://www.archives.gov/iwg/reports/hitlers-shadow.pdf. Le second, récemment traduit, est tombé dans
un trou noir médiatique aisément compréhensible : À l’ombre d’Hitler. Les services secrets américains
et les criminels nazis pendant la Guerre froide, Paris, J.-C. Godefroy, 2022. Le Vatican s’est illustré par son
soutien actif, voir public, à nombre d’entre eux. Pacelli était un pronazi notoire dès les années 1920 de sa
nonciature à Munich (entamée en 1917), les fonds du Quai d’Orsay sont accablants.
Les plus sincèrement « résistants » des évêques, tardifs, j’y insiste, et qui n’avaient pas agi en francs-tireurs, soit
ont subi les foudres de Pie XII (voir le cas de Saliège et les conditions d’octroi de sa pourpre), soit se sont
ralliés avec armes et bagages, comme Théas, dont Pacelli s’était avec succès assuré le soutien dès septembre 1944,
par une flagornerie marquée (voir « L’Église de France et la reconstitution de la droite après la Libération 19441946 », in Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier, dir., La recomposition des droites en France à la Libération
1944-1948, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 111-124). Ce qui ne signifie pas que Pie XII les
appréciait : il détestait les Français, si dociles qu’ils fussent, et avait été utilisé contre eux depuis l’ère de la
Séparation.
La réconciliation – symbolisée sur le plan étatique – par la réconciliation spectaculaire de de Gaulle, fin
1945, avec le pronazi Suhard (« Qui bénit qui? », écrivit un plaisantin au Quai d’Orsay, cf. ma communication au
colloque de Rennes) s’est opérée au nom 1° du maintien de « l’enseignement libre », décisif pour la
puissance financière de l’Église romaine et sa tutelle idéologico-politique sur la population française,
et 2° du sauvetage-recyclage des criminels de guerre, activité la plus importante du Vatican de 1942 à 1955,
prescrite aux clergés régulier et séculier sans exception. Cette solution a été souhaitée et agréée par de Gaulle et le
MRP, quelle que fût leur parfaite connaissance du rôle de la hiérarchie catholique dans la liquidation de la
République et dans la Collaboration : la « démocratie chrétienne », comme on l’appelle, a été vichyste en général
jusqu’à 1942 au moins, c’est le cas de la plupart des MRP et CFTC. Communistes et police étaient d’accord après
la Libération pour qualifier le « MRP » de « machine à ramasser les pétainistes ». Le statu quo socio-économique
l’a logiquement emporté sur tout, et c’est la clé de non-épuration, en tout lieu de la zone d’influence américaine. »
[Fin de citation]
-A propos de la résistance des évêques :
« Il n’y a pas eu d’évêques « résistants », et la ligne de 1942, à laquelle Pie XII a dû se rallier, à contre-cœur, mais
il n’avait pas le choix (sauf un blocage des fonds investis aux États-Unis) n’exprime pas sa position. » [C’est vrai
pour Pie XII. Et je suis d’accord, il n’y a pas eu d’évêques résistants. J’aurais dû adopter la terminologie employée
par Markus Eikel (op. cit.) et parler d’évêques « protestataires ».]
-A propos du nazisme d’Auvity :
Mme Lacroix-Riz me reproche d’exonérer Auvity de l’accusation de nazisme et rapproche ce que je dis du « déni
de fascisme français (de droite seulement), maintenu bec et ongles par Sciences Po depuis sa fondation
(https://www.historiographie.info/commmauras.pdf) » Le rapprochement entre Sciences Po et moi est
déroutant ; c’est bien la première fois de ma vie que je me vois sur une même ligne avec cette fabrique en série
d’agents dominés de la domination, de crétins politiquement corrects et de binoclards gominés issus des beaux
quartiers de Paris : tout arrive. Mais revenons au sujet : Mme Lacroix-Riz pense qu’Auvity est, positivement, nazi.
Le cas ne m’apparaît pas aussi tranché. Le national-socialisme est un programme, avec un contenu, des objectifs,
toutes choses qui divergent des faibles visées d’Auvity et excèdent son intelligence médiocre. Être antisémite
suffit-il à être nazi ? Mais à la réflexion, peut-être a-t-elle raison de le qualifier de nazi dans la mesure où il a été
l’esclave servile de l’Occupant qui pensait pour deux. Le chien du policier est aussi un chien policier.
-A propos de Hannah Arendt :
Mme Lacroix-Riz rappelle le comportement équivoque de la politologue : « Mme Arendt, profondément
réactionnaire malgré les légendes, a défendu bec et ongles son cher Heidegger, nazi jusqu’à l’os, et, aux ÉtatsUnis, elle s’est abouchée dès son arrivée, en 1941, avec les plus réactionnaires des universitaires prétendument
« réfugiés », faussement antinazis et vrais antisémites de choc, dont Carl Friedrich, héros pangermaniste et nazi
du chapitre 2 des Origines du Plan Marshall, son compagnon de plume et de colloques sur le « totalitarisme », le
tout financé sur généreux fonds CIA – aux côtés de Waldemar Gurian, un des tuteurs précoces de l’atlantisation
culturelle française via l’historien Jean-Baptiste Duroselle, militant catholique depuis sa jeunesse. » Mme
Lacroix-Riz maintient qu’on a « indûment fait d’Arendt une idole antinazie que, à juste titre, Hilberg récusait
catégoriquement. » Je cite les références qu’elle me donne – que je connais, évidemment, mais dont il est bon de
signaler l’existence –: « à propos de ses développements sur « banalité du mal », le rappel de Raul Hilberg (La
politique de la mémoire, Paris, Gallimard, 1996, p. 149 et 143) et, à propos de ses financements CIA pour tonner
contre l’Empire soviétique du mal, voir Frances Saunders (The cultural Cold War : the CIA and the world of art
and letters, New York, The New Press, 1999, réédition, 2013 ; édition anglaise, Who paid the piper?, London,
Granta Books, 1999 ; Qui mène la danse, la Guerre froide culturelle, Denoël, 2003 (épuisé)). Je parle beaucoup
d’elle dans mon ouvrage paru en octobre dernier, Les origines du Plan Marshall [Je n’ai pas lu ce dernier
ouvrage, mais j’anticipe sur sa qualité certaine, et je réparerai cette négligence très prochainement] Enfin, Mme
Lacroix-Riz conclut : « Même ses biographies française et américaine [sur Wikipedia] sont assez claires, [celle en
anglais] étant nettement plus précise malgré ses complaisances. La littérature américaine consultée, pourtant fort
aimable pour Arendt et consorts (Gati Charles, Zbig : The Strategy and Statecraft of Zbigniew Brzezinski,
Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2013, et Greenberg Udi, The Weimar Century. German Émigrés
and the ideological foundations of the Cold War, Princeton, Princeton University Press, 2015, est explicite, sur
ces hérauts de la Guerre froide et du « totalitarisme » soviétique). Et surtout, ne manquez pas l’index de
Saunders. »